Dissoudre Hizb Ettahrir et fermer des mosquées ne sont pas des solutions !
29/06/2015
Trois ministres européens de l’Intérieur en visite à Sousse sur les lieux de l’attentat du vendredi 26 juin et vague de solidarité internationale pour la Tunisie. L’émoi est là encore une fois avec un air triste de déjà vu. Face aux images macabres, on ne saurait faire autrement pour un pays qui suscite beaucoup de sympathie pour ses amis, notamment algériens, français et allemands. Mais pour combien de temps cette sympathie va-t-elle durer ? Pour combien de temps va-t-on compter sur nos amis pour nous aider à affronter nos problèmes et nos lacunes ?
Au lendemain de l’attentat du Bardo du mois de mars, cette sympathie était méritée puisqu’il y avait l’effet de surprise pour un gouvernement fraichement nommé. Trois mois plus tard, le gouvernement se doit d’assumer ses responsabilités et de rendre des comptes sur ce qu’il fait et, surtout, sur ce qu’il n’a pas fait. Nous ne pouvons plus nous apitoyer sur notre sort en levant les bras au ciel pour dire « allah ghaleb ».
Il y a une part de responsabilité évidente de ce gouvernement dans le manque de sécurité et dans l’attentat de Sousse.
L’attentat a eu lieu et aucun retour en arrière n’est possible. Est-ce que ce gouvernement et les différents responsables politiques ont retenu la leçon pour éviter ce type de drames à l’avenir ? Au vu des « mesures » annoncées ou qui se préparent actuellement dans les coulisses, la réponse semble être négative. Nous ne sommes pas en train de prendre le taureau par les cornes, loin de là.
Dans la série d’annonces qu’il a faites, Habib Essid parle de fermeture de mosquées. Il y en aurait 80, parait-il, qui échapperaient au contrôle de l’Etat. D’où est venu le nombre 80 ? Mystère, mais le chiffre n’est pas crédible et envoie un mauvais signal : on ne peut pas faire confiance au gouvernement. Pourquoi le chiffre n’est pas crédible ?
Le 26 novembre 2014, l’ancien ministre des Affaires religieuses, Mounir Tlili a déclaré que seules deux mosquées demeurent hors contrôle. Il y a eu ensuite des élections et un changement à la tête de l’Etat. On pourrait croire que la situation s’est de nouveau détériorée puisque l’actuel ministre Othman Battikh a déclaré le 20 avril (c’est-à-dire il y a deux mois à peine) que son département a pu récupérer 28 mosquées sur les 53 échappant au contrôle de l’Etat.
Il y a deux semaines, le 14 juin précisément, le même Othman Battikh déclare sur la base de statistiques officielles, qu’aucune mosquée ni lieu de culte n’est, aujourd’hui, hors de contrôle.
Vu qu’il ne s’est absolument rien passé de particulier en quinze jours, on ne saurait comprendre comment est-on passé de 0 mosquée hors de contrôle le 14 juin à 80 mosquées hors de contrôle le 26 juin.
Pourquoi donc parle-t-on de fermeture de mosquées, alors qu’un lieu de culte ne saurait être un danger pour qui que ce soit. Ce sont plutôt les personnes fréquentant ces lieux que l’on doit cibler et non les bâtiments fréquentés par de simples citoyens.
En parlant de fermeture de mosquées, Habib Essid commet une triple faute. De communication, tout d’abord, puisqu’il va se mettre à dos une opinion publique naïve qui pense que sa religion est ciblée par le pouvoir. Nos ennemis, à commencer par Fayçal El Kacem d’Al Jazeera, ont d’ailleurs rapidement rebondi sur l’affaire pour créer l’amalgame et jeter le doute sur l’initiative. La deuxième faute est l’absence de coordination entre le chef du gouvernement et son ministre, ce qui jette un doute sur le crédit. La troisième faute est que Habib Essid choisit la mauvaise cible et ses ennemis ne sauraient le rater pour le fragiliser encore davantage. Hamadi Jebali a commencé à tirer et il sera inévitablement suivi par toute sa meute.
Dans la foulée des mesures annoncées, on parle de fermeture d’associations et de partis œuvrant contrairement aux principes de la constitution. Le nom de Hizb Ettahrir est cité dans toutes les bouches et il y a une nette volonté de dissoudre ce parti islamiste radical. Mais ici aussi, on choisit la mauvaise cible, car Hizb Ettahrir, aussi radical soit-il, n’a pas enfreint la loi. On le cible, juste pour son idéologie qui nous déplait puisque ce parti ne reconnait ni la constitution, ni la démocratie, ni la nation et son drapeau.
Les idées de Hizb Ettahrir nous déplaisent ? Soit ! Mais ce n’est pas une raison suffisante pour le dissoudre. Il y a bien des partis néonazis qui exercent en Europe en toute légalité, malgré toutes leurs horreurs. Il y en a même qui ont été élus au Parlement européen, tel Udo Voigt du parti néonazi allemand NPD. C’est cela la démocratie et c’est cela qu’a énoncé notre constitution.
Si l’on veut arrêter avec ce modèle démocratique respectueux des libertés, qu’on nous le dise. Mais ce n’est pas le cas et, de ce fait, on se doit de respecter les libertés de tous, y compris celles de nos ennemis.
Il faut cependant être pragmatique et ce « joli » discours de respect des libertés ne saurait, à lui seul, nous prémunir du terrorisme. On ne doit pas oublier que nos ennemis demeurent nos ennemis et on se doit de les abattre. Il faut juste trouver la bonne méthode.
En procédant à la fermeture des associations et des mosquées ou à la dissolution des partis ennemis de la démocratie, on ne fera que déplacer le problème. Les militants de ces partis et ces associations se disperseront et iront se réunir ailleurs, loin des projecteurs. Or, pour le moment, on sait qui ils sont et ce qu’ils font. L’Etat peut les infiltrer plus facilement à travers ses agents secrets pour recueillir les renseignements nécessaires sur leurs activités.
Pour les abattre, il faut les pourchasser autrement en visant le nerf de la guerre qu’est l’argent. Et, en la matière, l’opacité sur le financement des partis et des associations, ainsi que les médias, est totale.
Des millions de dollars et d’euros transitent par ces organisations, sans que l’on sache d’où l’argent provient, ni où il est destiné. Les médias en ont parlé en long et en large et ont cité nommément les organisations suspectes (cliquer ici pour lire l’article de Business News à ce sujet). Le professeur Alaya Allani a élaboré une étude des plus sérieuses sur le sujet et s’apprête à la publier dans un livre.
Or, en dépit de ces signaux d’alarme, les associations les plus en vue, comme celles de Néjib Karoui ou Abdelmonem Daïmi, toutes deux proches du pouvoir de la troïka, n’ont jamais été inquiétées ou convoquées par la justice pour s’expliquer sur leurs fonds. Idem pour Hizb Ettahrir, faisant partie d’une mouvance internationale qui, on le soupçonne, le finance sans limites. Des médias qui n’ont aucune source claire de financement, comme Zitouna, et des journalistes qui ont été attrapés la main dans le sac, comme Mokded Mejri, continuent à alimenter la haine contre le modèle sociétal tunisien, en toute impunité. C’est leur opinion et on se doit de la respecter, mais cela ne veut pas dire que l’on doit rester les bras croisés.
Si l’Etat se doit de respecter le droit de tous, conformément à la Constitution, il est tout à fait légitime aussi pour l’Etat qu’il fasse respecter ses droits et les lois en vigueur. Les mécanismes existent, il suffit juste qu’il y ait une volonté politique pour les actionner. Pêle-mêle, on peut citer les contrôles stricts au niveau de la Banque centrale et des Douanes pour arrêter les flux de devises finançant les radicaux. Il y a ensuite l’appareil judiciaire et l’appareil fiscal pour contrôler le bon fonctionnement de tous ces partis et toutes ces organisations qui alimentent le terrorisme et son terreau.
En clair, il s’agit d’adopter la politique de Bourguiba et d’attaquer le problème à la source, non pas en fermant les boutiques et en dissolvant les organisations, comme l’a fait Ben Ali, mais en les poussant à la transparence. Or les radicaux ont horreur de la transparence et, dans notre cas, ils ne survivront pas un mois sans leurs appuis financiers étrangers. Une fois que leur culpabilité en matière de blanchiment d’argent est juridiquement établie, qu’on les frappe là où ça fait mal en toute légalité. Aucune voix ne saurait s’élever pour protester contre la dissolution de tel parti ou telle association pour dire qu’il y a un retour à la dictature et aux pratiques liberticides.
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