En marche arrière
24/04/2017
A l’actualité cette semaine, des fuites un peu partout jusqu’à la présidence de la République, des manifestations à Tataouine suivies d’un sit-in sur les routes du pétrole, la chute vertigineuse du cours du dinar et le lancement de la campagne « Acheter tunisien ».
La monnaie locale s’est donc fortement dépréciée cette semaine. La faute, parait-il, à la ministre des Finances, Lamia Zribi, qui a déclaré dans un média de la place que l’euro allait s’échanger à trois dinars. Mouvement de panique immédiat sur le marché des changes, il n’y a plus d’euros !
L’inflation va galoper, les prix vont devenir inaccessibles, il faut encourager le « made in Tunisia », il faut arrêter l’importation des produits superflus, il faut fermer la frontière aux produits turcs, la faute à Ennahdha, Zied Laâdhari est coupable. ..
Comme par magie, et comme de coutume, en un rien de temps nos réseaux sociaux ont regorgé de dizaines de milliers d’experts économiques, d’experts en balance commerciale, d’experts en commerce international, etc. C’est magique cette Tunisie qui regorge, en fonction des besoins et du moment, de spécialistes en journalisme, d’experts en foot, d’ingénieurs juridiques chevronnés, de professionnels en politique. On comprend tout en tout.
Pour les besoins de l’actualité de la semaine, nous sommes donc devenus experts en lobbying politique et experts en change.
La solution préconisée pour juguler la chute du dinar est d’ordre protectionniste. Il faut fermer la porte aux importations superflues et encourager le produit tunisien. Même l’UGTT s’y est mise dans ses leçons démagogiques.
Très peu cependant « d’experts », y compris l’UGTT, ont pointé du doigt le véritable problème du dinar tunisien dont la chute a commencé en 2011 et non après la déclaration de Lamia Zribi.
Pourtant, le véritable problème du dinar se résume en un mot : il s’appelle productivité ! Que produit-on d’exportable et susceptible d’intéresser les marchés internationaux pour que notre dinar ne chute plus ?
Depuis la révolution, on ne cesse de multiplier les grèves et les revendications au point que nos entreprises ont cessé d’être compétitives. Nous mettons tellement de barrières officielles et officieuses devant nos exportateurs qu’il est aujourd’hui beaucoup plus facile, administrativement parlant, d’importer que d’exporter. Le coût de nos travailleurs et de notre production est devenu tellement élevé que des produits fabriqués en Europe sont devenus moins chers que ceux fabriqués en Tunisie. Ne parlons pas de la bonne qualité et du marketing, notions quasi inexistantes chez nous, à quelques exceptions près.
C’est bien beau d’appeler à consommer « Made in Tunisia », mais il faudrait d’abord que ce « Made in Tunisia » ait un meilleur rapport qualité prix que le « Made in Europe » ou le « Made in Turkey ».
C’est bien beau d’appeler à embarquer sur Tunisair, mais il faudrait d’abord que la compagnie aérienne nationale propose les mêmes services, à un prix moins élevé, qu’Air France ou Turkish Airlines.
Mais quand on multiplie les grèves pour un oui et pour un non, quand on exige des augmentations drastiques sans pour autant parler de la productivité des agents, quand on plombe les comptes publics avec des milliers de fonctionnaires inutiles, on ne saurait ensuite demander aux entreprises d’être compétitives, à l’Etat de ne pas être déficitaire et s’étonner ensuite de la chute du dinar.
Lamia Zribi a gravement fauté par sa déclaration farfelue. On ne saurait dire autrement. C’est ce qui se passe quand on met des technocrates apolitiques à la tête de l’Etat. Appeler à sa démission, la limoger et crier au scandale résoudrait-il le problème pour autant ? Ce serait grave de faire de cette ministre inexpérimentée un bouc émissaire. Et il serait encore plus grave de prendre des mesures protectionnistes pour freiner les importations, y compris l’importation des produits superflus. Si le protectionnisme a du bon, cela se saurait. A l’exception de quelques produits et de secteurs bien déterminés (et prévus dans nos accords de libre-échange où la carte protectionniste peut et doit être brandie), tout protectionnisme serait fatal pour l’économie tunisienne.
Si l’on interdit l’importation de glibettes blanches venues de Turquie (sous prétexte que c’est du superflu), la Turquie va nous interdire la vente de nos glibettes noires chez elle. Voilà avec un exemple banal (et superflu) la conséquence directe du superflu : tu interdis mes produits, j’interdis les tiens. Tu ne veux pas de Kiabi chez toi, tu n’auras pas Zen chez moi. Tu me prives de tes dix millions d’habitants, je te prive de mes 80 millions de consommateurs ! C’est le b.a.-ba de l’économie de marché !
Il se trouve cependant que ce discours déplait à l’opposition et aux syndicats. Les premiers ont besoin d’un bouc émissaire pour marquer des points contre le gouvernement et les seconds ont besoin d’une diversion pour éviter les véritables solutions qui font mal.
La vérité est qu’on ne veut pas travailler, qu’on ne veut pas produire de la bonne qualité, qu’on est des adeptes du moindre effort, qu’on préfère les produits bâclés aux produits bien finis et le colmatage au perfectionnisme.
Si l’UGTT veut bien sauver le dinar, qu’elle appelle le gouvernement à en finir définitivement avec la séance unique ! C’est une véritable aberration de se priver d’heures de travail les après-midi d’été sous prétexte de chaleur, alors que toutes nos administrations et toutes nos entreprises sont climatisées. Il est cependant vrai qu’il est plus facile de taper sur une ministre inexpérimentée ou de tancer les « riches » qui achètent des produits importés superflus. Il est plus facile et plus porteur (politiquement) d’encourager le farniente que le travail.
www.businessnews.com.tn