Il est encore prématuré de fêter la révolution
15/01/2017
A l’approche du sixième anniversaire de la révolution, les contestations populaires dans les régions se sont multipliées au point que le gouvernement décide de dépêcher d’urgence, à la fin de la semaine dernière, des délégations ministérielles à Ben Guerdène, Sidi Bouzid et autres. Le chef du gouvernement, lui, a choisi de se déplacer à Jendouba où la détérioration des conditions climatiques a fait souffrir les populations et exacerbé les mécontentements.
En janvier 2013, quelques jours avant son assassinat, Chokri Belaïd avait déclaré « Nous ne célébrons pas, nous commémorons la chute du dictateur. La célébration nécessite la concrétisation des objectifs de la révolution alors que la réalité suggère le contraire. Le peuple s’insurge dans la majorité des gouvernorats pour les mêmes revendications et les mêmes objectifs qui étaient à l’origine de son insurrection dans le passé ». Quatre années après, cette déclaration reste toujours d’actualité tant les réalités sociales et économiques des régions ont peu évolué.
Cette stagnation agaçante, révoltante même, le président de la République l’a vérifiée à ses dépends au cours de sa visite à Gafsa. Les ouvriers du complexe minier ont crié leur mécontentement. Les jeunes des quartiers ont barré la route par laquelle devrait passer le cortège présidentiel, lancé des pierres sur les forces de l’ordre et même nargué le président actuel en scandant le nom de son prédécesseur. De mémoire d’homme, jamais une visite présidentielle à une région quelconque du pays n’a été un fiasco aussi cinglant.
Seulement, ce revers essuyé par le président, mais surtout par ses conseillers, est porteur d’espoir. Il est la manifestation bruyante, même si elle est désordonnée et à la limite de la violence, que le peuple a retrouvé la voix et qu’il est déterminé désormais à réclamer à tous, ce qu’il estime son droit. Ce qui s’est passé à Gafsa le samedi, aurait été impensable et n’aurait jamais pu se passer si le pays n’avait pas réussi sa révolution.
D’un autre côté, la débandade de Gafsa devrait interpeller tous les officiels sur la nécessité de bien préparer leurs visites sur le terrain. Ils doivent comprendre que leurs visites sont très attendues par les citoyens qui ne veulent plus être déçus, ni par les promesses non tenues, ni par les projets « réchauffés » et les usines repeintes à la veille de chaque visite d’un responsable pour être inaugurées. Pour le cas de Gafsa, les citoyens sont déçus de voir qu’aucun des vingt et un points annoncés par le gouvernement précédent en faveur du développement dans leur région, n’a été mis en application. Ils ont tenu à le faire savoir.
Entre-temps, les partis politiques ont publié, à partir de leurs sièges dans la capitale, qu’ils soutiennent les mouvements populaires dans les différentes régions et se rangent du côté de leurs revendications légitimes concernant le développement, l’emploi et la dignité. Pauvres partis politiques, des plus embryonnaires aux plus grands. Ils ne changeront jamais. Ils sont toujours à la traine de la rue avec toujours autant de vampirisme et un esprit usurpateur et opportuniste. On attend pourtant des partis politiques d’être présents là où les citoyens sont présents pour être à l’écoute de leurs préoccupations, formuler efficacement les revendications populaires dans un discours et un programme politique et encadrer les mouvements de masse pour leur donner plus d’efficacité. Même le chef du gouvernement semble se plaire dans cette ineptie populiste. En effet, on n’attend pas d’un chef de gouvernement de soutenir les revendications des habitants de Meknassi ou de Ben Guerdène, ou encore d’avouer ne pas comprendre que des Tunisiens vivent encore dans des gourbis. On attend d’un chef de gouvernement qu’il agisse pour changer la réalité et améliorer le vécu de ses concitoyens.
La seule exception, c’est le directeur exécutif du Nidaa qui s’est déplacé à Gafsa au début de la semaine dernière, pour préparer la visite du président. Vu la tournure prise par les événements, on aurait franchement aimé qu’il reste à Tunis, au chaud, chez lui.
Un dernier mot à l’adresse des manifestants là où ils sont. Les mouvements sociaux ou populaires ainsi que les revendications perdent toute légitimité à la tombée de la nuit. L’obscurité est un facteur aggravant des actes de banditisme. En plus, il est incompatible de revendiquer le développement tout en saccageant les édifices publics qui sont les vestiges d’un développement même imparfait.
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