La démission nationale

10/08/2016

Une belle photo a été publiée hier, 9 août 2016, par la présidence de la République. Celle de nos deux chefs de gouvernement, Habib Essid qui gère les affaires courantes, et Youssef Chahed qui est en train de former son équipe gouvernementale. Nous nous sommes tous extasiés devant cette belle image illustrant la « transmission pacifique du pouvoir dans une démocratie en construction ». On a remis les couverts pour parler de l’exception tunisienne, de la révolution tunisienne unique, de la maturité de son peuple, des 3000 ans d’Histoire et j’en passe.

 

Evidemment, l’extase s’est trouvée vite tempérée par l’ombre des montagnes de problèmes que vit le pays. La fierté a vite baissé la tête devant l’arrogance des chiffres de la situation économique de la Tunisie. Alors, on a bien voulu concéder qu’il y avait encore beaucoup de travail et que le chemin était encore long. Sauf que le problème n’est pas là.

 

Le problème n’est pas de savoir si on fera le chemin ou pas, le problème est de savoir avec qui on le fera. Enfermés dans leur tour d’ivoire, nos politiciens ne voient pas la démission collective de la population tunisienne par rapport à la manière dont est géré leur pays. Le principe du « tous pareils », selon lequel tous les politiciens se valent dans leur médiocrité et n’apporteront pas de réel changement n’a jamais été aussi répandu dans le pays qui a fait « une révolution unique » et qui a « 3000 d’Histoire ».

 

La seule chose que les Tunisiens voient c’est le délitement de l’Etat, peu importe qui se trouve à sa tête. Les Tunisiens ont aujourd’hui peur d’aller dans un hôpital ou dans une clinique car on pourrait leur implanter des équipements défectueux ou les anesthésier avec du poison. Les Tunisiens ont peur de prendre les transports en commun qui, déjà ne sont pas confortables, mais deviennent en plus dangereux avec des agressions sexuelles ou des braquages en plein jour. Les gens se sont, malheureusement, habitués à l’amoncellement intolérable d’ordures, partout, pas qu’au Bardo, jusqu’à ce qu’un ambassadeur puisse dire que le pays est tellement sale que les touristes ne viennent plus. Les gens en ont marre de cette corruption insolente qu’ils voient partout et à laquelle ils sont acculés.

 

Le principal problème du pays est cette démission généralisée où rien n’est plus envisagé de manière collective. Une démission qui fait que chacun ne pense qu’à lui, qu’à son bien-être et à sa sécurité. Cette démission totale produit des hors-la-loi, à quoi bon s’échiner à respecter la loi alors que les criminels s’enrichissent sans jamais être inquiétés ? A quoi bon payer ses impôts quand les fraudeurs deviennent des victimes ? A quoi bon essayer d’améliorer les choses puisque l’Etat empêche les initiatives ? A quoi bon investir pour se retrouver ensuite pris en otage et insulté du matin au soir ?

Quand on voit des contrebandiers notoires acheter des appartements dans les régions les plus huppées de la capitale. Quand on les voit dépenser des fortunes dans les meilleurs restaurants de Tunis. On est en droit d’au moins se poser des questions.

 

Depuis que la lutte contre la corruption est l’étendard de chaque gouvernement, la corruption n’a jamais aussi bien prospéré. Plus on crée de commissions, d’instances et d’outils divers et variés, mieux se porte le phénomène à traiter. Le Tunisien en a marre. Il a essayé d’aller dans la rue et il se dit que ça n’a rien apporté, donc il démissionne, et il se débrouille, il s’adapte. Puisque nous n’avons plus d’Etat, puisque le pouvoir est à celui qui a l’argent, et bien devenons tous des bandits et advienne que pourra !

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