La lente mise à mort du gouvernement

04/05/2017

A lire et écouter les hommes politiques, indépendamment de leur appartenance ; à lire et écouter les experts politiques de tous bords, on est en présence d’une incroyable confusion sur les raisons qui ont amené le chef du gouvernement Youssef Chahed à limoger ses ministres des Finances, Lamia Zribi, et de l’Education nationale, Néji Jalloul. En tout cas, cela ne va nullement renforcer l’efficacité du gouvernement pour résoudre la crise multiforme que traverse le pays. Bien au contraire, cela va fragiliser davantage un gouvernement déjà à bout de souffle, n’arrivant pas à gérer « les pressions » avec lucidité et intelligence. N’y a-t-on pas constaté que Youssef Chahed s’est subitement déjugé en moins d’un mois d’un principe de conduite qu’il a solennellement fait sien : ne sanctionner un membre du gouvernement que sur la base de son rendement? Car, enfin, on ne peut pas croire que le rendement de Néji Jalloul à la tête du ministère de l’Education ait pu se dégrader si précipitamment, depuis l’interview télévisée au cours de laquelle le chef du gouvernement a réaffirmé d’une part son attachement à ce principe et d’autre part, son total soutien, sur cette base, à son ministre de l’Education.

 

Cela serait extrêmement difficile, sinon impossible, de l’admettre compte tenu des propos tenus par le porte-parole officiel de la présidence du gouvernement, Iyed Dahmani : « Le rendement de Jalloul n’est pas à mettre en doute », a-t-il déclaré sur le plateau de l’émission 24/7 sur El Hiwar Ettounsi, trois jours seulement après la mise à l’écart sans ambages du ministre de l’Education. Ce ne sont pas non plus les pressions de l’UGTT qui en sont la source, a-t-il ajouté, sans fournir pour autant une quelconque raison probante, à considérer comme telle l’affirmation de Iyed Dahmani sur d’énormes tensions prévalant au sein du département de l’Education. Tensions dont il ne fournit d’ailleurs ni les tenants, ni les aboutissants, mais que le gouvernement a considéré qu’elles touchaient l’intérêt suprême de l’Etat, ainsi que celui des élèves. C’est stupéfiant. L’intérêt suprême de l’Etat est évoqué pour des tensions au sein du ministère du ministère de l’Education, mais nullement pour les tensions qui prévalent à Tataouine et qui font dangereusement tâches d’huile. Là, le gouvernement a fait le choix de la négociation sur des revendications proprement surréalistes, au contraire de ce que prônait Néji Jalloul pour le secteur de l’éducation.

 

D’ailleurs, on ne négocie pas sous la pression. Youssef  Chahed en a fait l’amère expérience à Tataouine. En outre, il n’en a visiblement pas tiré l’enseignement idoine : réagir avec fermeté. Au contraire, c’est curieusement au retour de Tataouine qu’il a pris la décision d’écarter son ministre de l’Education. En tout cas, l’opinion publique largement convaincue que le gouvernement a cédé aux injonctions de l’UGTT et aux désidératas des représentants syndicaux de l’éducation nationale. Une attitude dont il a payé cash la portée à travers le traitement subi par le ministre de l’Industrie et du Commerce, Zied Laâdhari, lors de sa visite au site de la société El Fouledh, en se faisant « dégager » par les représentants du syndicat de base de l’entreprise nationale. Une effrayante dérive en perspective.

 

Le cas de Lamia Zribi est autrement plus symptomatique. Là aussi, on n’a pas jugé la ministre des Finances sur son rendement, mais sur ses propos. Elle a été sanctionnée comme l’a été l’âne – qu’elle m’en excuse – dans la fable de Jean de La Fontaine, « les animaux malades de la peste ». Elle a osé dire tout haut ce que, dans la sphère du pouvoir, on feignait d’envisager. L’animal de mauvais augure, en quelque sorte. Car, hormis cela, que pourrait-on lui reprocher ? Plusieurs de ses collègues n’ont pas été éjectés pour plus que cela.

Le ministre du Transport aurait dû être écarté à la suite des tensions à Tunisair. Le ministre de l’Equipement et de l’Habitat aurait dû être démis de ses fonctions à la suite de la signature de la convention conclue entre le ministère et certains promoteurs immobiliers dans le cadre de la nouvelle législation de soutien à l’acquisition d’un premier logement par les ménages tunisiens. Le ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale aurait dû être éjecté compte tenu de nos faibles performances pour attirer les investissements étrangers. A cet égard, la dernière publication du cabinet Ernest & Young sur l’attractivité des destinations africaines d’investissement montre que la Tunisie ne fait plus partie du top 10 des sites d’investissement les plus attractifs d’Afrique en 2017, ayant de surcroît perdu 5 rangs à la 13eplace, alors que le Maroc trône à la 1er place, suivi par le Kenya et l’Afrique du Sud . Le ministre de l’Industrie et du Commerce aurait dû être écarté au regard du déficit abyssal de notre balance commerciale et de la détérioration des parts de marché, extérieur et intérieur, du produit tunisien. La ministre du Tourisme et de l’Artisanat aurait dû être limogée après ses puériles inaugurations de restaurant, café et autre boulangerie-pâtisserie. Et l’on peut continuer ainsi jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’un gouvernement constitué de ministres qui ne sauraient plus où donner de la tête entre leurs fonctions et les intérims qu’ils doivent assurer et assumer, avec le risque d’étioler définitivement son efficacité et donc de le voir disparaître inéluctablement. Une lente mise à mort du gouvernement semble se profiler.

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