La loi sur l’investissement, ou l’art de mettre la charrue avant les bœufs

02/04/2017

Selon un communiqué de la présidence du gouvernement, la nouvelle loi tant attendue sur l’investissement est finalement entrée en vigueur hier samedi. Cette loi est considérée comme l’une des réformes les plus importantes depuis la révolution. Elle vise à promouvoir les investissements privés, à créer des emplois et à favoriser un développement régional intégré et durable. Mais bonté divine, comme disait l’autre, pourquoi ont-ils choisit un premier avril pour la mettre en vigueur ?

 

Sans vouloir jouer le trouble-fête ni être l’oiseau de mauvais augure, toutes les conditions semblent être réunies pour que cette loi soit juste un nouveau texte de plus dans l’arsenal législatif tunisien déjà surchargé, sans impact réel sur l’investissement, le développement régional et l’emploi. En effet il ne s’agit pas de légiférer pour devenir attractif ou performant. Il s’agit avant tout de réunir les conditions pour le devenir. Or, ce qui fait crucialement défaut pour l’instant, ce sont les conditions objectives d’un investissement durable dans nos régions qui restent isolées, avec des infrastructures vétustes ou inexistantes et socialement instables. Aussi, ce qui rend cette loi sur l’investissement pratiquement inopérante, c’est notre réalité administrative tout juste catastrophique et la gangrène de la corruption qui sévit encore et se propage dans l’impunité la plus totale.

 

La nouvelle loi sur l’investissement est un outil qui aurait pu être efficace si elle avait été précédée par d’autres réformes urgentes et nécessaires.

Au niveau de l’administration d’abord. La lenteur et les complications administratives actuelles font que notre pays n’est pas attractif. Tout en ayant la totale conscience de ce handicap, le gouvernement tarde à prendre les mesures nécessaires pour réformer le système, alléger les procédures, réduire les délais et amaigrir le mammouth. La décision de rattacher les prérogatives du ministère de la Fonction publique aux services de la présidence de la République n’est pas de nature à donner un signal fort concernant la volonté de ce gouvernement de réformer l’administration tunisienne en profondeur.

On pourrait rétorquer que cette situation a été imposée par la démission/éviction du ministre Abid Briki et la défaillance de son remplaçant  Khalil Ghériani. Mais la situation avait été créée avant, par la décision d’ôter à ce ministère ses prérogatives de contrôle, ce qui le rend inefficace dans la lutte anti-corruption. D’ailleurs, c’est ce fléau de la corruption qui se dissémine partout, dans l’administration ainsi que dans toutes les sphères d’activités; et qui se propage en toute quiétude, dans l’impunité totale, qui fait que notre pays n’est plus attractif, ni pour l’investissement étranger, ni pour l’entreprenariat national. Tant que des corrompus notoires n’ont pas été montrés publiquement, poings et pieds liés, jugés sévèrement et écroués sans merci, il serait difficile de convaincre que le gouvernement lutte contre la corruption.

 

Pour l’heure, il est malheureusement difficile de convaincre de l’existence d’un gouvernement fort qui gère les affaires d’un Etat fort. Sur le terrain, les signes de la faiblesse de l’Etat se multiplient chaque jour et se propagent dans les régions. Sinon comment expliquer que l’Etat se déplace pour négocier avec des individus qui bloquent la route à Kerkennah ou ailleurs? Comment accepter que des contrebandiers, connus par tous, imposent leur loi comme à El Jem ou Msaken avec la bénédiction des notables locaux soudoyés? Comment accepter que des régions réclament des ponctions directes sur leurs productions minières ou exigent un traitement préférentiel dans l’embauche dans les entreprises installées dans ces régions?

 

Le gouvernement actuel n’assume pas seul cette situation de dépérissement de l’Etat. C’est une situation héritée depuis plus de six ans déjà et qui empire de jour en jour. Malheureusement, il ne servira à rien de mettre le cadre juridique d’une réforme profonde si on ne sent pas et on ne voit pas derrière un Etat fort et un gouvernement efficace.

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