La «meilleure constitution du monde»… sur papier !

26/01/2017

Le verdict est (presque) sans appel. Trois ans après son vote, la constitution reste un joli texte que l’on n’applique pas. Aussi bien pour les professeurs de droit constitutionnel que les simples citoyens, la constitution tunisienne n’a pas changé le quotidien des gens et reste un texte à la limite de l’utopique, trois ans après sa promulgation.

 

« Il existe des zones d’ombre dans les dispositions de la Constitution ce qui souligne le besoin urgent de la mise en place d’une cour constitutionnelle ». C’est ce qu’a déclaré Mohamed Ennaceur, président de l’Assemblée des représentants du peuple, à l’ouverture d’une conférence internationale sur le droit constitutionnel le 26 janvier. Il ajoute que, trois ans après la promulgation de la constitution, plusieurs de ses dispositions ne sont pas appliquées, en évoquant la mise en place du pouvoir local, le conseil supérieur de la magistrature et la cour constitutionnelle. En effet, on semble encore loin de l’application totale et complète des dispositions de la constitution.

 

L’une des plus grandes sommités tunisiennes du droit, Slim Laghmani, dresse, quant à lui, un état des lieux beaucoup moins nuancé que celui de Mohamed Ennaceur. Dans un post sur sa page Facebook le 11 janvier, Slim Laghmani prend la constitution, chapitre par chapitre, pour démontrer qu’elle est non effective. Ainsi, le premier chapitre concerne des principes généraux, donc il n’y a pas d’application à évaluer. Le chapitre des droits et libertés souffre du fait que la législation interne n’ait pas encore été modifiée pour être en conformité avec la constitution, donc l’application de la constitution ici est presque inexistante. Le troisième chapitre est celui du pouvoir législatif que Slim Laghmani qualifie de « à peu près paralysé ». Il fait ici sans doute allusion au fameux « consensus » qui règne à l’assemblée. Pour le pouvoir exécutif, objet du quatrième chapitre, il écrit : « Dénaturé, nous sommes de facto en régime présidentiel ». Le chapitre 5, concernant le pouvoir judiciaire est non effectif car il n’existe pas de conseil supérieur de la magistrature ni de cour constitutionnelle. Le chapitre 6, traitant des instances constitutionnelles indépendantes, n’est pas non plus effectif puisque, selon M. Laghmani, une seule de ses instances est effective malgré le fait que le tiers de ses membres n’ait pas été renouvelé dans les délais constitutionnels (Instance supérieure indépendante pour les élections). Le pouvoir local, objet du chapitre 7, reste inexistant à ce jour puisqu’il n’y a pas eu d’élections municipales et régionales. Le chapitre 8 concerne la modification de la constitution et reste hors de propos à ce jour. Le chapitre 9 concerne les dispositions finales et le chapitre 10 concerne les dispositions transitoires qui, elles, ont été « ignorées sinon violées en ce qui concerne le CSM, la Cour constitutionnelle et les Instances constitutionnelles indépendantes », selon Slim Laghmani.

 

Donc, le constat est vite fait. La constitution tunisienne reste un texte qui n’a aucun impact sur le quotidien des Tunisiens du fait que les législations internes restent inchangées. Par ailleurs, la constitution n’est pas respectée dans les plus hautes sphères de l’Etat et même à l’Assemblée où l’on préfère privilégier le consensus au strict respect des délais par exemples. Cela s’est vu particulièrement lors du feuilleton du conseil supérieur de la magistrature. Autre aspect criant de la non application de la constitution, celui des instances constitutionnelles indépendantes.

 

Dans un communiqué datant du 4 janvier 2017, les instances indépendantes ont publié un communiqué virulent concernant leurs conditions de travail et leurs relations avec le gouvernement. Dans un premier temps, les instances ont dénoncé la manière avec laquelle les lois les régissant sont conçues. Elles ont souligné que ces lois doivent se conformer aux dispositions de la constitution et être éloignées des tergiversations et des pressions politiques. Dans un deuxième temps, les instances évoquent les obstacles pratiques à l’accomplissement de leurs missions. Ainsi, elles ont invité les autorités à leur fournir les moyens financiers, humains et logistiques nécessaires à leur travail. Elles ont également demandé plus de réactivité et de répondant de la part des autorités vis-à-vis des initiatives et des décisions prises par les instances indépendantes. Les instances demandent également à être consultées par le gouvernement lors de la préparation de projets de loi dans leurs domaines de compétence. En résumé, les instances constitutionnelles sont relativement marginalisées et ne disposent pas des moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs missions.

 

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la constitution en elle-même recèle de plusieurs lacunes. L’une d’elles, qui a fait l’actualité récemment, est celle qui exige que le président de la République soit obligatoirement de confession musulmane. On avait également espéré, lors de la conception de cette constitution par l’ANC (Assemblée nationale constituante), voir abolie la peine de mort. Toutefois, cela ne s’est pas fait.

 

Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour demander certaines modifications dans le texte constitutionnel. La polémique est venue avec les craintes de retour des terroristes en Tunisie. On avait demandé, à ce moment là, la modification de l’article 25 pour pouvoir déchoir les terroristes tunisiens de leur nationalité. Il a également été question de modifier le régime politique puisqu’on s’est rendu compte que ce système parlementaire hybride conçu par l’ANC donnait lieu à certaines lenteurs.

 

Trois ans après sa promulgation, la constitution tunisienne reste un objet théorique étranger aux Tunisiens qui ne voient pas son influence ou son impact sur leurs vies quotidiennes. Les autorités tunisiennes, quel que soit la personne qui est à leur tête, sont responsables de cela. En effet, les textes d’application de cette constitution et la mise en conformité des législations internes sont des chantiers qui ne semblent pas être prioritaires. En attendant, la constitution tunisienne restera un joli texte, seulement !

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