La rupture entre les Tunisiens et les politiques en chiffres
19/01/2017
C’est un sondage édifiant, paru récemment, qui révèle encore une fois la fracture qui existe entre le peuple tunisien et les politiques. Une rupture qui se fait ressentir de jour en jour et qui se confirme en chiffres. 6 ans après qu’un changement politique s’est opéré dans le pays, le trop plein de partis, de discours, de promesses non tenues ou oubliées, la succession de gouvernements et de crises, ont eu raison du regain d’intérêt pour la chose politique.
Le sondage en question a été mené pour le compte du Centre de l’Institut Républicain International (IRI) pour les sondages par la société tunisienne, ELKA Consulting sous la supervision de Chesapeake Beach Consulting.
Les données ont été collectées du 6 au 13 décembre 2016 moyennant des interviews en face à face et en arabe à partir d’un échantillon de 1222 Tunisiens âgés de 18 ans et plus.
Outre l’inquiétude exprimée quant à la situation économique et la persistance de la corruption, cette enquête relève le ras-le-bol populaire face à une classe politique, qui pour certains, pour ne pas dire la plupart, semble déconnectée de la réalité.
D’ici fin 2017 ou début 2018, cela dépendra du bon vouloir des décideurs, se tiendront en Tunisie les premières élections municipales après la révolution. Les observateurs tendent à dire, presque à l’unanimité, que les Tunisiens s’en détourneront et que le taux de participation à ce scrutin, pourtant de la plus haute importante, sera dérisoire. C’est ce que confirme le sondage. A la question, dans quelle mesure êtes-vous susceptible d’aller voter : 32% répondent par un non catégorique, 7% disent qu’il est peu probable qu’ils le fassent et 20% n’excluent pas la probabilité d’aller voter. 46% sont plus susceptibles de voter pour un candidat quel que soit le parti qu’il représente et 32% pour le parti quel que soit le candidat.
Quant à l’opinion des interviewés sur les personnalités et les organisations de la place, le constat est sans appel. Nos politiques n’ont pas le vent en poupe. En premier, Rached Ghannouchi, chef du parti Ennahdha qui récolte 67% d’opinion défavorable. Le parti lui-même a 67% d’avis défavorable. Le chef de l’Etat, Béji Caïd Essebsi, remporte 49% d’opinion défavorable, le directeur exécutif de Nidaa Tounes, Hafedh Caïd Essebsi, 63% et le parti 44%, alors qu’on accorde au chef du gouvernement, Youssef Chahed, 44% d’opinion favorable, contre 33% défavorable ( le reste, ce sont les personnes qui n’ont pas de réponse). Le leader du Front populaire, Hamma Hammami récolte 60% d’opinion défavorable et le front de gauche 59%. Pour les autres partis et personnalités politiques, notamment Afek Tounes, le Mouvement du projet pour la Tunisie de Mohsen Marzouk, ou l’Union patriotique libre de Slim Riahi, les résultats sont similaires. Ce qui attire notre attention c’est le décalage entre 46% d’opinion défavorable touchant le secrétaire général de l’UGTT, contre les 49% d’avis favorable envers l’organisation syndicale.
Alors, si les élections se tenaient demain, les intentions de vote iront à 17% pour Nidaa Tounes, 12% autre, 9% Ennahdha et 5% le Front populaire, pour ne citer que ceux-là. Mais le véritable gagnant dans cette affaire c’est le refus ! En effet, pas moins de 48% des personnes interrogées n’envisagent absolument pas de voter.
Entre les citoyens et le pouvoir politique, rien ne va plus. La confiance est rompue et les Tunisiens ont l’impression que la classe politique ne remplit pas sa part du marché. Au contraire, cette classe est souvent accusée de ne plus être à l’écoute des besoins primordiaux du Tunisien et de ne vouloir qu’une chose : accéder au pouvoir.
Les chiffres le disent sans détour : Quel serait le parti politique le plus apte à combattre la corruption ? Aucun à 48%. Le meilleur pour aider à la croissance économique ? Aucun à 42%. Pour combattre le terrorisme ? Aucun à 44%. Celui qui est le plus à même de promouvoir la démocratie en Tunisie ? Aucun à raison de 40%. Le plus apte à soutenir les jeunes ? Toujours aucun avec 43% !
Pourtant, cette enquête démontre que les Tunisiens pensent à 48% que la démocratie est préférable à tout autre type de gouvernement. Il y aurait toujours de l’espoir en dépit de la désillusion semble-t-il.
Il faudrait quand même tenir compte des 22% croyant que, dans certaines circonstances, un gouvernement non-démocratique peut-être préférable et des 25% qui se désintéressent totalement de la forme de gouvernement que pourrait avoir le pays.
D’ailleurs, se devant de choisir entre un système démocratique ou une économie prospère, 50% des interviewés voient que la prospérité est certainement plus importante, contre 21% qui pensent que la démocratie l’est plus.
Dans le même ordre d’idée, 41% trouvent que la Tunisie est une démocratie imparfaite et 28% que ce n’est pas du tout une démocratie.
A la classe politique, le Tunisien reproche son inaptitude à changer quoi que ce soit à la situation réelle du pays. Depuis 6 ans, plusieurs gouvernements se sont succédé à la tête du pays, mais la situation demeure inextricable. A l’espoir et aux mirifiques promesses des uns et des autres, ont pris place la désillusion et des tonnes de promesses non tenues.
En décembre 2016, 61% des Tunisiens trouvent que le gouvernement n’est en aucun cas en train de promouvoir des politiques et des programmes qui aident les jeunes à réussir. 73% estiment que les politiciens n’écoutent pas les besoins et les idées des jeunes. Ainsi, évaluant le rendement du gouvernement, 54% affirment qu’il est mauvais, contre 38% le trouvent « un peu bon ».
Niveau création des emplois, le rendement du gouvernement est mauvais à 65%. La lutte contre la corruption, mauvais à 58%. Pour réduire la dette publique, mauvais à 68%. Fournir des services comme les soins de santé, l’électricité et l’eau potable, on oppose le même jugement à 60%. Seul le travail du gouvernement en matière de protection du pays contre le terrorisme trouve grâce à leurs yeux avec 69% qui le trouvent bon.
Mais encore, 63% des interviewés avouent qu’ils ne savent pas sur quoi le gouvernement travaille actuellement ou quelles sont ses priorités. Seulement 8% répondent par l’affirmative. Respectivement, 64% et 57% trouvent que députés et ministères ne font rien.
La rupture entre le peuple et ses dirigeants semble consommée et le fossé abyssal. Une cassure que cette classe politique devrait prendre en considération et tenter au moins d’inverser la vapeur, sous peine d’un désengagement total et permanent.
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