Les députés d’Enahdha contre la levée du secret bancaire : Si seulement c’était une simple affaire de vote
13/11/2016
Le parti Ennahdha est-il prêt à adhérer au paysage politique civil et démocratique tunisien ? La question mérite d’être posée tant le comportement du parti islamiste prête à équivoque.
Au cours de cette semaine, la commission des finances au sein de l’ARP a voté contre l’article 37 du projet de Loi de finances 2017 portant sur la levée du secret bancaire. La quasi majorité des votants contre la proposition du gouvernement sont des élus d’Ennahdha. Cela traduit la position première des dirigeants islamistes qui se sont positionnés clairement, dès le début de la discussion de cette mesure, contre la levée du secret bancaire avant de faire un repli tactique au niveau de leur discours pour annoncer qu’ils acceptent cette levée du secret bancaire sous conditions.
En réalité, il ne s’agit pas de discuter le bien fondé de la proposition du gouvernement. Il ne s’agit pas non plus de savoir si les mesures actuelles en matière de secret bancaire sont une garantie pour les citoyens ou un frein pour l’administration. La question qui nous interpelle est de savoir pourquoi Ennahdha et ses élus s’opposent-ils à une mesure qui devrait, en principe, mettre plus de transparence, lutter contre l’évasion fiscale, les malversations, le blanchiment d’argent, et toutes les pratiques financières frauduleuses. La logique, du moins la logique révolutionnaire, supposerait que le parti islamiste soit parmi les fervents défenseurs de la transparence. Du moins c’est ce que nous suggère son discours officiel.
Pour beaucoup, cette position du parti islamiste en faveur du maintien de l’opacité financière régnante dans le pays, trahit un embourgeoisement des dirigeants islamistes après la révolution, mais surtout depuis leur accession au pouvoir suite aux élections du 23 octobre 2011. Le changement rapide de standing chez les uns et le train de vie ostentatoire chez les autres alertent sur un rapprochement inquiétant entre les dirigeants islamistes et le monde des affaires et de l’argent. Ce rapprochement n’est malheureusement pas sans risque. Souvent, il flirte avec l’illégalité. Le cas le plus connu de cette aisance des islamistes avec l’argent, surtout quand il appartient à la communauté, est le cas du don chinois d’un million de dollars qui a atterri miraculeusement dans le compte personnel de Rafik Bouchlaka, gendre du leader d’Ennahdha Rached Ghanouchi et ministre des Affaires étrangères de la troïka.
Certains, pour expliquer cet engouement manifeste des islamistes pour l’argent, interpellent leur passé assombri par beaucoup de misère et de privation. Ceci est vrai certainement pour la majorité des islamistes qui sont restés dans le pays et qui ont dû affronter l’arbitraire du régime de l’ancien président. Mais pour ceux qui ont réussi à quitter le pays et qui se retrouvent pour la plupart aujourd’hui dans les postes de commandement de leur parti, leur situation était beaucoup plus douillette que celle de la majorité des Tunisiens.
Ce qui est évident, c’est que bon nombre d’islamistes nourrissent toujours une haine profonde contre l’Etat et ses structures, ont du mal à s’adapter à leur nouvel environnement dans le contexte postrévolutionnaire du pays et gardent toujours, d’une manière consciente ou pas, d’anciens réflexes hérités de la période de la clandestinité. Les dirigeants d’Ennahdha, s’ils sont sincères dans leur volonté d’évoluer vers un parti démocratique, civil et républicain, doivent fournir plus d’efforts pour convaincre leurs troupes des fondements de la citoyenneté, la question fiscale étant l’un de ces fondements.
Déjà que les islamistes trainent toujours comme un boulet, la question de leur rapport avec la violence politique. Des épisodes dramatiques anciens et récents, continuent en effet de hanter la mémoire des Tunisiens. Il s’agit des attaques à l’acide contre les civils dans la rue, de l’affaire Bab Souika, des attentats de Monastir et de Sousse, du groupe sécuritaire. Mais il s’agit aussi après la révolution de la lapidation de Lotfi Naguedh, de la responsabilité des islamistes dans l’assassinat de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, des attaques contre le siège de l’UGTT et les violences contre les représentants de la société civile. Sur ce dossier embarrassant pour les islamistes, on attend toujours une réponse politique claire. Pour le moment, Ennahdha et ses dirigeants continuent de nier tout et en bloc à chaque fois qu’ils sont confrontés à la question de leur implication dans la violence.
C’est cette incapacité des islamistes, sur le plan politique, d’avouer leurs erreurs passées et leur soif, sur le plan matériel, de rattraper le temps perdu, qui rendent légitime la question sur la capacité réelle du parti Ennahdha à intégrer pleinement le paysage politique civil et démocratique tunisien.
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