Les tomates sont chères ? Mangez des bananes !
02/02/2017
Quand les Tunisiens avaient un jour de 2011 scandé « du pain de l’eau et Ben Ali dégage ! », ils étaient sans doute très loin de s’imaginer que six années plus tard, leur assiette allait réellement finir par ressembler à ça.
Depuis la révolution, en effet, le pouvoir d’achat du Tunisien ne cesse de dégringoler et les prix, évidemment, d’atteindre des sommets. Si, il y a quelques années, on volait argent, biens et bijoux, aujourd’hui, les voleurs se sont tournés vers un butin plus insolite mais presque désormais tout aussi rapporteur, le piment ! Voilà ce qu’on a volé aujourd’hui à un commerçant de Kairouan… à près de 4dt le kilo, les 90kg dérobés constituent un joli petit pactole…
Les prix grimpent, et touchent de plus en plus ces produits « essentiels » à l’assiette du citoyen. Près de 3dt pour un kilo de tomates et 4dt pour des piments, de quoi susciter une vive indignation et un tollé sur les réseaux sociaux. Désormais, les plats les plus rudimentaires, reviendront aussi cher que les mets de fêtes, et la « chakchouka », plat du « pauvre » sera servie en festin, ironisent les internautes.
Une hausse dénoncée également par l’UGTT, qui a estimé que le gouvernement fait preuve de « laxisme dans le traitement de ce phénomène aux conséquences néfastes sur le climat social ».
La centrale syndicale a, par ailleurs, appelé à prendre certaines mesures dont le lancement d’une campagne nationale visant à contrôler les prix, à limiter le nombre d’intervenants entre le producteur et le consommateur et à lutter contre la politique de l’exclusivité.
Il est vrai que la hausse des prix est souvent expliquée par un manque de contrôle, une pénurie causée par des conditions climatiques défavorables engendrant un déséquilibre entre l’offre et la demande et/ ou des distributeurs qui manipulent le marché. Partant de ce principe, l’Etat doit prendre des mesures pour pallier à ces problèmes, c’est ce que s’accorde à dire l’opinion publique.
Aujourd’hui, les choses semblent être moins « claires », et les responsabilités plus partagées. Les agriculteurs sont plus enclins à accuser l’Etat d’être à l’origine d’une pénurie, due notamment à une politique de restriction d’usage de l’eau et au manque de mesures en faveur des producteurs sinistrés par les intempéries. La société civile quant à elle estime que les distributeurs sont à l’origine de ce dérèglement du marché, et condamne un manque de contrôle et le laxisme dont fait preuve l’Etat face à la montée exponentielle des prix sur les étales. L’Etat, pour sa part, affirme, que le problème est ponctuel et qu’il est dû à la vague de froid qui a engendré une baisse de production.
« Les opérations de surveillance des prix continuent. Je ne comprends pas pourquoi on parle de la hausse des prix maintenant. Les prix sont à la hausse pour un manque de production et ce n’est pas la fin du monde ! », a déclaré le ministre du Commerce et de l’Industrie, Zied Laâdhari.
« Il ne faut pas s’alarmer, les conditions climatiques particulières qu’a traversé le pays ces dernières semaines ont conduit à une baisse de production, ce qui a impacté l’offre. Dans certaines régions de Monastir par exemple, qui fournit près de 40% de la production nationale de primeurs, les agriculteurs n’ont pu cultiver que 20% de leur production habituelle, et ce, pour des raisons liées à la pénurie d’eau enregistrée l’an dernier » a-t-il ajouté.
« Le manque d’eau a engendré un manque de production et donc une baisse de l’offre. En témoignent d’ailleurs, les chiffres enregistrés au marché de gros de Bir El Kasâa. En janvier 2017 nous avons reçu 1944 tonnes de tomates contre 2615 tonnes à la même période en 2016. Pour ce qui est des piments, nous avons aussi constaté une baisse de près de 30% dans l’offre. Il est alors normal que la pression de la demande implique une hausse des prix » a expliqué Zied Laâdhari, ajoutant que son ministère œuvre en ce moment à faire baisser les prix en modérant le marché et en améliorant l’offre. Le ministre a également souligné que 20 tonnes de tomates et piments avaient été importées de Libye pour pallier au manque de l’offre.
Mesure, que certains trouvent particulièrement incongrue, dans la mesure où de nombreux commerçants font part d’un commerce parallèle, qui serait aussi à l’origine de la baisse de l’offre, et qui exporte nos denrées vers la Libye notamment…
Il est vrai que la pénurie, le manque de l’offre et les aléas climatiques ont de tout temps impacté les prix, mais pas au point constaté aujourd’hui. Il est possible de pousser l’explication du côté de l’agriculteur. Ce dernier a parfaitement le droit de maximiser ses gains. Par ailleurs, les distributeurs ont vu leurs charges augmenter de par la dévaluation du dinar, de l’exigence de renouvellement du matériel etc. Il est donc normal que les prix soient revus à la hausse. Toutefois, nous ne nous trouvons pas face à des prix simplement augmentés, mais multipliés par 3 et même 4 !
4.200 dinars pour des courgettes alors qu’habituellement le prix ne dépassait jamais les 1.500 dinars, 0.5 dinars pour la botte de persil, qu’on vendait à 0.2 dinars, Près de 4 dinars pour des piments dont le prix le plus élevé excédait rarement 1 dinar, sans parler des prix des fruits, des viandes et de tout ce que le panier du citoyen a désormais du mal à contenir.
Les accusations sont mutuelles et les constats laissent perplexes. On accuse les distributeurs alors que nous avons, aujourd’hui même, relevé les prix au marché de Bou Salem (région agricole du gouvernorat de Jendouba à 140km de Tunis) et constaté que les piments sont vendus à 3.400 dinars le kilo, contre 1.700 dinars le kilo de tomates, vendues, elles à 3.400 dinars dans un marché municipal de la capitale. On importe ce que les contrebandiers exportent, on dit intensifier les contrôles alors que les fruits et légumes sont vendus à chaque coin de rue, sur des camions et des étales improvisées…
Quand cette hausse avait touché le pin d’alep à l’approche du Mouled, le ministre de l’Agriculture avait appelé au boycott. « Pourquoi manger du zgougou ? » avait-il dit, il faut boycotter pour que les prix baissent. Des prix que Samir Taïeb n’a pas voulu expliquer, se contentant de dire que la production était normale voire même excédentaire.
Pas de « zgougou » donc, et pas de salade non plus comme l’a déclaré hier Le président de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP), Abdelmajid Zar.
« Il faut manger les fruits et légumes de saison, est-ce que manger du poivron et des tomates est une chose nécessaire ? Ne pas manger de salade tunisienne pendant deux mois, n’est pas la fin du monde ! » A-t-il estimé.
Le boycott pourrait, en effet, être une réponse, mais l’Etat doit aussi agir, comme cela avait souvent été fait d’ailleurs durant « l’époque révolue ».
Quand Mondher Zenaidi était ministre du Commerce, il n’avait pas hésité à faire du forcing pour obliger les distributeurs à ouvrir leurs frigos et écouler leurs marchandises. L’Etat avait recours également à l’importation avant que ne flambent les prix pour maintenir le marché à un niveau acceptable. Des stratégies étaient adoptées pour que les prix ne dépassent jamais un certain plafond, quitte à importer des produits pour contrecarrer le plan des distributeurs.
Quand l’Etat veut, l’Etat peut, peu importe le régime, il s’agit de montrer que le pays n’est pas livré à lui-même et que le pouvoir en place, cette fois de surcroit élu, assume ses responsabilités les plus élémentaires… des tomates plus chères que les bananes, nous aurons décidément tout vu…
www.businessnews.com.tn