Lettre ouverte au ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et ministre de l’Education

28/06/2017

Monsieur le ministre,

 

Conscient que le secteur de l’enseignement est un des secteurs les plus importants pour la Tunisie, voire le plus important, car structurant et impactant tous les autres, je m’adresse à vous dans cette lettre ouverte pour attirer, une fois de plus, votre aimable attention sur la pratique de critères d’accès à des filières d’enseignement supérieur d’excellence qui deviennent à mon sens de plus en plus déloyales et inéquitables. Ceci est grave car ce secteur névralgique touche l’ensemble des Tunisiens toutes catégories confondues de manière directe ou indirecte et il est important de veiller à ce qu’aucun sentiment d’injustice ne puisse gagner les esprits de nos compatriotes et affecter la crédibilité du système.  C’est dire combien votre mission, monsieur le ministre, à la tête de ces deux départements, est hautement stratégique et délicate et demande de vous beaucoup de sagesse, de clairvoyance, d’écoute et de ténacité pour renforcer cette confiance et rendre aux méritants ce qu’ils sont en droit d’obtenir par le seul fruit de leur travail.

 

Malheureusement ce qui se produit actuellement en Tunisie semble aller à l’encontre de ces valeurs. Les résultats du baccalauréat 2017 n’ont fait que mettre en exergue, une fois de plus, la profondeur de ce constat. Sans vouloir anticiper, le même constat restera valable pour les examens de 6ème année et de 9ème année.

 

L’injustice et l’inégalité font partie de la vie quotidienne et chacun d’entre nous apprend, au fil des années, à s’y faire sauf quand elles sont érigées comme règles dans les politiques publiques ; elles deviennent tout simplement inacceptables.

 

Votre responsabilité, monsieur le ministre, est de nous prémunir et de nous protéger de ces dérives même si elles s’inscrivent dans le passif de certains de vos prédécesseurs. Vous êtes dans un poste de responsabilité de haut niveau qui vous permet de corriger les erreurs du passé et de rétablir la justice pour nos brillants lauréats.

 

Malheureusement, par la circulaire N°20 datée du 22 mai 2017, vous avez reconduit des dispositions que je considère injustes concernant l’orientation des lauréats bacheliers 2017 et ceci malgré toutes les actions menées individuellement ou par la société civile pour attirer votre attention sur la nécessité de définir un quota pour l’accès aux filières d’excellence pour les titulaires du BAC français.

Par cette circulaire, des bacheliers du BAC tunisien se trouvent en concurrence manifeste avec ceux, titulaires du BAC Français, alors que les deux examens sont radicalement différents dans le contenu et dans l’évaluation. Où est donc l’équité académique qui a bercé des générations et dont vous êtes, comme moi, monsieur le ministre, le pur produit ? La question se pose dans tous les esprits de nos jeunes et a déjà engendré des frustrations auprès des jeunes et de leurs parents qui ne fera que s’accentuer.

Par ailleurs, le système de l’orientation universitaire tel qu’il est pratiqué actuellement et malgré toutes les sophistications apportées au fil des années, apparaît comme égalitaire dans le concept mais fortement aléatoire dans les faits. En effet, en se basant essentiellement sur les résultats des épreuves du BAC qui n’est pas exempt d’aléas, le processus d’orientation peut faire basculer tout un cursus scolaire, parfois des plus brillants, vers des situations catastrophiques engendrant le plus grand désarroi pour nos jeunes et leurs parents. Le baccalauréat est un examen et doit le rester. Il est injuste de limiter le potentiel d’un jeune à un score, à une moyenne ou aux résultats d’une épreuve qui dure l’espace de quelques jours en fin d’année.

 

Notre université vit quotidiennement les conséquences néfastes de ce système, à travers des étudiants non motivés par ce qu’ils font, des étudiants que se retrouvent dans des filières presque par hasard, sans les avoir vraiment choisies, des étudiants qui n’arrivent pas à se projeter, à s’identifier et par conséquent à s’impliquer.

 

Les résultats du baccalauréat 2017, ceux de la session 2016 et certainement d’autres sessions antérieures, ont aussi mis en évidence beaucoup d’imperfections dans la correction des épreuves qui engendrent des injustices. Des notes en dessous des attentes eu égard aux corrigés officiels des épreuves, des notes anormalement basses pour des séries entières, des notes qui ne sont pas en adéquation avec le contenu des copies, des notes qui dépendent du « hasard » de l’affectation aux différents centres de correction. Il suffit de regarder ce qui s’est passé pour le lycée pilote de Sfax, l’an dernier, et pour le lycée pilote de l’Ariana cette année pour certaines filières et certainement d’autres lycées dont je n’ai pas eu connaissance. Tout ceci ne contribue pas à améliorer la confiance, le sens de la justice et de l’équité. Cette situation ne permet pas aux jeunes de croire réellement en la vertu de l’effort et du travail, car l’effort est mis à l’épreuve des injustices engendrées par des choix, et des comportements parfois irresponsables de certains intervenants dans le processus d’évaluation.

 

Monsieur le ministre,

Vous et votre génération dont je fais partie, sont le produit d’une école publique qui a permis à chacun d’avoir sa chance, où l’enfant de l’ouvrier côtoie à l’école l’enfant d’un cadre supérieur ou d’un homme d’affaires, où chacun peut rêver d’un avenir meilleur et y croire. Aujourd’hui, ce schéma est malheureusement caduc. L’enfant issu d’une famille défavorisée, ne peut plus rêver d’un lendemain meilleur, sauf quelques exceptions. L’école publique républicaine où les jeunes de différentes classes sociales apprennent à vivre ensemble, à se comprendre, à partager des valeurs humaines et sociales, n’est plus. Elle est désormais une école stratifiée en fonction du niveau social car incapable d’offrir des prestations de même qualité à tous. Ces inégalités face à l’éducation, à l’accès au savoir sont insupportables, dangereuses et ne présagent rien de bon pour le futur proche de notre pays.

 

Monsieur le ministre,

 

Ne voyez pas dans mes propos autre chose que la volonté d’attirer votre attention sur une situation critique, sur un état d’esprit de nos jeunes et le regard qu’ils portent sur les règles et critères pratiqués par l’administration de l’enseignement dans notre pays. L’espoir et la confiance engendrent l’engagement et le travail, le désespoir, en revanche, crée la frustration et la déception.

Je vous souhaite toute la réussite dans votre noble mission pour le bien de la Tunisie, de sa jeunesse et de son avenir.

 

Maledh Marrakchi,

Universitaire,

 

www.businessnews.com.tn

Top ↑