LF2017, le gouvernement Chahed fait passer la pilule
12/12/2016
La Loi de finances 2017 a été adoptée en séance plénière à l’Assemblée des représentants du peuple, le 10 décembre 2016, avec 122 voix pour, 48 contre et 2 abstentions. Le vote final a été annoncé sous les applaudissements des députés qui ont entonné l’hymne national. La LF2017 entrera en vigueur le 1er janvier 2017.
Cette loi, d’abord fortement contestée, a été votée dans une version amendée, et nombreux ont estimé que le gouvernement de Youssef Chahed, qui avait promis plus de fermeté dans l’application des réformes a finalement cédé à la pression.
Nombreux estiment aussi que ce vote est une avancée notable dans la mesure où, pour une fois, toute l’attention a été portée sur le cœur du sujet, sur l’intérêt des citoyens et celui du pays.
« Les deux mois passés, les discussions autour des finances publiques du pays, du principe de l’équité fiscale et de l’économie nationale ont porté leurs fruits, ce sont les fruits de la démocratie », a déclaré Youssef Chahed, à l’issue de ce vote.
Le chef du gouvernement a également ajouté : « Nous avons su dépasser les querelles intestines et ceux qui pensaient que ça ne passerait pas, seront bien déçus ce soir. La LF2017 est un projet courageux, les amendements apportés n’ont, par ailleurs, pas touché l’essence de la loi initiale qui demeure l’aide apportée aux classes moyennes et aux plus défavorisés. Je vous annonce aussi qu’à partir de l’entrée en vigueur de la loi, aucune administration n’acceptera le traitement d’un dossier sans identifiant fiscal ».
Une loi courageuse diront certains mais pas tant que cela, assureront d’autres. En effet, le 9 décembre 2016, l’article 29 de la loi de Finances 2017 concernant la fiscalité des avocats a été abandonné. L’Ordre des avocats a décidé alors de suspendre la grève ouverte qu’il avait entamée et de reprendre ses activités.
Aussi, l’initiative des députés du Front populaire qui avaient proposé d’interdire les transactions en cash, relatives notamment à l’achat de véhicules, d’un montant de plus de 5000 dinars a été rejetée lors de la plénière de vote de la LF2017 à l’ARP. C’est à la majorité des votants que la proposition a été refusée, soit 46 contre, 45 pour et 5 abstentions, ce qui avait provoqué la colère d’un grand nombre d’intervenants.
Le président de la commission des Finances à l’ARP, Mongi Rahoui, a affirmé, à ce sujet, qu’Ennahdha et Nidaa Tounes s’y sont opposés. Ajoutant que « cette attitude de la part de Ennahdha est le signe que c’est le parti de l’évasion fiscale et qu’il alimente le commerce parallèle ! ».
Le président de la commission des Finances à l’ARP a, par ailleurs, fait état de « la volonté réelle et flagrante de ce parti de ne pas vouloir changer les choses et de les laisser dans leur état actuel », soulignant le fait que cette proposition, « comme d’ailleurs tant d’autres », sont tombées parce qu’elles « émanent du Front populaire, ni plus ni moins ».
Un article additionnel sur la levée du secret bancaire, pourtant d’abord refusé à l’ARP, est toutefois passé. Après la présentation et les explications données par la ministre des Finances, Lamia Zribi, sur les dispositions de l’article additionnel au projet de la Loi de finances 2017, relatif à la levée du secret bancaire, ce dernier a, en effet, été adopté lors de la plénière. Ce nouvel article stipule notamment que la Banque centrale de Tunisie (BCT), les banques, les établissements financiers, les sociétés d’investissement, les intermédiaires en bourse et l’Office national des postes devront présenter aux services de la fiscalité, à chaque demande écrite, les chiffres des comptes ouverts par les contribuables auprès d’eux en leur nom, ou pour le compte d’autrui ou bien les comptes ouverts par une autre personne, au profit du contribuable et les copies des relevés bancaires, dans un délai ne dépassant pas 20 jours à partir de la date de la demande.
La LF 2017 est d’une importance cruciale pour le gouvernement de Youssef Chahed. Les Tunisiens de tous bords ont suivi avec beaucoup d’intérêt les tractations qui ont eu lieu sur nombreux articles du projet. D’abord pour voir si ce gouvernement d’union nationale, émanant de l’Accord de Carthage, respecte à la lettre ce qui y a été énoncé, mais aussi pour déterminer si oui ou non l’Etat allait reprendre ses droits sur ce pays et passer, quand il le faut, avec la fermeté qui se doit, les réformes qui s’imposent.
Beaucoup ont alors été déçus de voir que le gouvernement a finalement opté pour les concessions. D’autres, en revanche, ont estimé que c’est la loi de la démocratie qui a primé et que le compromis qui a été accordé sur certains articles est un bon signe surtout que les objectifs du gouvernement ont quand même été atteints.
C’est le cas notamment du ministre chargé des relations avec l’ARP et porte-parole du gouvernement, Iyed Dahmani, qui a souligné que les engagements du gouvernement ont bien été respectés.
Il a précisé que les majorations salariales, si elles vont avoir lieu, ont quand même été partiellement ajournées et que, de ce fait, la charge financière a été allégée sur le budget.
« La hausse des masses salariales est restée raisonnable et le déficit restera au niveau de 5,4% », a-t-il expliqué.
Pour ce qui est de la fiscalité des professions libérales, le ministre a expliqué que l’administration ne va plus accepter de documents sans identifiant fiscal.
« La loi sur la fiscalité n’a pas été réformée depuis l’ère de Hédi Nouira. Pour les tribunaux, l’administration devra envoyer un état aux services des impôts tous les six mois et les dossiers traités par les avocats seront donc connus. Ce mécanisme va permettre à l’administration fiscale de mieux faire son travail. Aussi 1600 contrôleurs fiscaux ne peuvent pas tout contrôler, ce qui importe aujourd’hui c’est de mettre en pratique les textes. Les moyens doivent être mobilisés pour que le texte soit rigoureusement appliqué et pour la première fois 250 recrutements seront effectués dans l’administration fiscale avec la mise en place d’une police fiscale », a affirmé Iyed Dahmani.
« Nous avons fait des compromis quand cela a été nécessaire, et si nous avions tenu bon on nous aurait traité le gouvernement de sourds et de despotes. Toutes les mesures apportées par le gouvernement ont été votées mais pour certaines revues c’est tout » a-t-il conclu.
Si la polémique a fait rage et que le vote de la Loi de finances a eu des airs d’un accouchement plutôt douloureux, il n’en demeure pas moins que le fait est là et que l’évènement est un grand pas en avant. Car oui, il y a eu des concessions, inévitables et d’ailleurs probablement calculées à l’avance. Oui, il y a eu des grèves mais les textes votés n’ont pas exonéré les avocats mais les ont obligé à avoir un identifiant fiscal. Ils n’ont pas non plus octroyé les augmentations salariales promises mais juste une partie, sur un accord pourtant signé. Cela dit, il y a eu des réformes, il y a eu une volonté et il y a eu une loi votée et qui n’attend qu’à être scrupuleusement respectée. Ce sera celui là d’ailleurs, le vrai défi…
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