L’impuissance des politiques face au mur de 2017 !

03/04/2016

Depuis la révolution, l’économie tunisienne a été plongée dans un état de léthargie. Il faut dire aussi que ni la transition démocratique, ni les attaques terroristes n’ont facilité la reprise ! Résultat des courses : pour financer l’Etat, son budget, les salaires des fonctionnaires et surtout leurs augmentations, le pays s’est lourdement endetté et le pic des remboursements est prévu pour 2017.

 

Comme c’est indiqué dans la Loi de finances 2016, la Tunisie va payer cette année un principal de 3.280 millions de dinars (MD) et un service de la dette de 1.850 MD, soit au total 5.130 MD contre 4.700 MD en 2015. Le stock de la dette va donc évoluer de 46.051 MD à 50.353 MD entre 2015 et 2016. Pour sa part, l’endettement du pays passera de 52,7% à 53,4%, pour cette même période.

En effet, la dette de la Tunisie a presque doublé en 7 ans évoluant de 26 milliards de dinars en 2010 à 50 milliards de dinars en 2016, soit une hausse de plus de 92%.

Or, pendant cette période, le dinar tunisien s’est fortement déprécié par rapport aux devises les plus utilisées par le pays pour ses transactions et ses prêts (-19,85% par rapport à l’euro entre janvier 2010 et mars 2016 et -54,49% par rapport au dollar pour cette même période). En plus, la croissance et l’investissement ont diminué après que la croissance ait été presque nulle, pendant des années. D’où ce recours intensif à l’endettement : un endettement dirigé vers la clôture du budget et la consommation et non pas l’investissement.

 

Tout ceci a poussé les experts économiques du pays à tirer la sonnette d’alarme et à dénoncer ce qui se passe. Pour eux, si la Tunisie continue sur cette lancée, elle ne pourra plus assurer le payement de ses dettes, alors que le pays n’a jamais raté une échéance.

Ainsi, l’expert international tunisien Achraf Ayadi, s’est alarmé du fait que la Tunisie a emprunté, en 5 ans, 20 milliards de dinars, soit l’équivalent de 15 points de croissance et ceci sans alimenter l’investissement. Il a précisé que la dette extérieure a été multipliée par deux depuis 2009, en notant que la dette supportée par chaque citoyen est passée de 2.400 dinars en 2010 à 4.700 dinars en 2015.

Autre point, Achraf Ayadi s’est inquiété, également, dans un post Facebook daté du 21 mars 2016, quant au fait que le FMI prévoit que les dettes de la Tunisie seront d’environ 30 milliards de dinars, soit 67,5% du PIB en prenant comme hypothèse que la croissance du pays serait de 3%. Or, en parallèle, M. Ayedi indique que le prêt de 2,8 milliards de dollars que le gouvernement est en train de négocier avec le FMI en plus de 700 millions de dollars additionnels qu’il compte financer sur le marché international, prouve, selon lui, que techniquement ni le gouvernement, ni le FMI croient vraiment à l’hypothèse de croissance de 3%.

 

Contacté par Business News, l’économiste et expert économique Moez Joudi a tenu à préciser, qu’il n’est, personnellement et de manière générale, pas contre l’endettement. Il explique, en effet, que l’endettement « n’est pas un problème en soi, car il peut devenir une source de création de richesse pour un Etat ».

M. Joudi a rappelé que «la Tunisie a toujours eu des dettes mais qui étaient maitrisées, bien utilisées et remboursées dans leurs échéances. La Tunisie n’a jamais raté une échéance ou demandé un rééchelonnement, sauf en 1980 où il y a eu un plan d’ajustement structurel avec le FMI», en précisant qu’en 2010, le taux d’endettement était de 39 à 40% du PIB. Et d’ajouter : «Il y a eu même, cette année-là, des remboursements d’échéance par anticipation… Je ne dis pas que ça se passait bien au temps de Ben Ali mais les finances publiques étaient bien tenues et l’endettement maitrisé !».

 

Moez Joudi a souligné qu’à partir de 2011, l’endettement a augmenté d’une manière conséquente : en moyenne de 2 à 3 points d’endettement en plus chaque année. Le taux d’endettement est passé de 39/40% à 53/54% entre 2011 et 2016, soit à peu près 15 points d’endettement en plus en 5 ans.

L’expert pointe du doigt trois problèmes :

  • L’endettement est en train d’augmenter d’une manière vertigineuse
  • Cet endettement n’est pas utilisé dans le développement et l’investissement mais il est utilisé à 100% dans la consommation  et n’est, donc, pas en train de créer de la richesse
  • Les dettes extérieurs sont contractées et remboursées en devise alors que le dinar tunisien ne cesse de se déprécier face à l’euro et au dollar.

 

Autre point, M. Joudi ne partage pas la vision du gouverneur de la Banque centrale Chedly Ayari, selon laquelle le taux d’endettement de 53% est « supportable », se comparant au Japon et au Etats-Unis alors que l’économie du pays est totalement différente.

 

Autre point abordé par l’économiste, depuis la révolution la note souveraine de la Tunisie n’a pas cessé de baisser. Résultat : nos emprunts coûtent plus chers. A titre d’exemple, il évoque la sortie du gouvernement Jemâa sur le marché financier international pour lever 1 milliard de dollars qui a coûté 5,75% de taux d’intérêt alors qu’avant la révolution le Tunisie empruntait à un taux d’intérêt inférieur à 3%. Le pire, c’est que depuis cet emprunt, la notation souveraine de la Tunisie auprès des trois agences (Moody’s, Fitch Rating et R&I) a baissé, donc les prochaines sorties vont coûter au pays encore plus cher, la Tunisie vivant un phénomène de “credit crunch” -NDLR un resserrement du crédit-.

Autre point, Moez Joudi, indique qu’en 2016, les services de la dette sont estimés à plus de 5 milliards. L’ancien ministre des Finances, Hakim Ben Hammouda, avait précisé, pendant son mandat, que les services de la dette seraient, en 2018, de l’ordre de 8 milliards. L’expert s’interroge : « si on a des salaires de 13 milliards de dinars, un service de la dette de 6 milliards de dinars, un budget de compensation de 3 à 4 milliards de dinars, pour un budget de l’Etat de 29 milliards de dinars, alors que reste-t-il pour le financement du Titre II du budget consacré au développement ? »

Il a souligné, dans ce contexte, que normalement, les soldes primaires de gestion, le titre I du budget (frais de fonctionnement et dépenses), doivent être équivalent en terme de montant aux ressources propres (fiscales). Or, maintenant, une partie du titre I est financée par l’endettement extérieur, soit 1 à 2 milliards de dinars, chaque année depuis la révolution.

Il rappelle, pour conclure, que les échéances de plusieurs dettes et dépôts ont commencé, mais que le pic sera atteint en 2017.

 

Face aux défis auxquels nous faisons face, la Tunisie n’a aucun choix sauf de se secouer et de sortir de sa léthargie. Le pays doit se remettre au travail, instaurer les réformes qui s’imposent et surtout changer son modèle de développement, l’actuel ne répondant plus à ses ambitions de croissance !

 www.businessnews.com.tn

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