Que reproche-t-on à la Turquie ?
21/06/2017
Il a fallu d’une simple annonce, non confirmée, de la visite prochaine en Tunisie de Recep Tayyip Erdogan, président de la République turc, pour qu’une vague de protestation s’enclenche à travers les réseaux sociaux contre le « dictateur » pour les plus virulents, le « Sultan » pour qui le sont moins.
Mais que sait-on réellement de la Turquie de ces 15 dernières années ? Au début des années 2000, la Turquie s’est trouvée au bord de l’effondrement économique. Son PIB avait chuté de 7,5%, l’inflation avoisinait les 80%, ses finances publiques affichaient de graves déséquilibres, ses plus grosses banques étaient au bord de la banqueroute, ses entreprises nationales financièrement asphyxiées. La Turquie avait fait appel au Fonds monétaire international (FMI) pour stabiliser son économie. Comme on peut bien le deviner, le Fonds ne fut pas tendre avec le pays en dépit de la présence, lors des négociations, de Kamel Derwich, ministre turc des Finances et ancien Vice-président de la Banque mondiale chargé de la région MENA, celui-là même dont le nom avait circulé pour remplacer Dominique Strauss-Khan à la tête du FMI, avant que Christine Lagarde ne vienne le coiffer au poteau. En contrepartie d’un crédit de 4 milliards de dollars, un plan drastique d’ajustement est mis en œuvre reposant sur trois piliers : un ajustement budgétaire, des réformes structurelles et une politique monétaire et de taux de change soutenus par une politique des revenus conforme à l’objectif d’inflation. Comme ça nous ressemble !
En 2005, Ankara a une fois de plus solliciter le FMI pour un prêt de 10 milliards de dollars sur 3 ans. Mais c’était sans compter sur la crise financière internationale qui allait frapper de plein fouet la Turquie, au point que les autorités ont envisagé de solliciter du FMI une rallonge d’environ 40 milliards de dollars. Elles s’en raviseront par la suite.
Aujourd’hui, la Turquie est devenue une puissance économique régionale. Le chemin parcouru ne fut pas une sinécure. Les sacrifices ont été énormes. A titre indicatif, la restructuration bancaire engagée par le pays au début 2000 a coûté l’équivalent de 30% du PIB. A comparer avec le coût de la restructuration des banques publiques tunisiennes entamée depuis 3 ans (3 à 5% du PIB), il n’y a pas photo.
Entre 2000 et 2015, tout a changé
Entre 2000 et 2015, la Turquie a enregistré des progrès socioéconomiques prodigieux. Le taux de pauvreté n’est que de 1% en 2015 après avoir affiché plus de 30% en 2000. En Tunisie, ce taux est passé d’un peu plus de 32% à environ 15% sur la même période. En termes d’espérance de vie à la naissance, la Tunisie a gagné 6 ans entre 1990 et 2015. La Turquie en a gagné presque le double sur la même période. Le taux de mortalité infantile qui était de 70 pour mille est passé à 14 pour mille entre 1990 et 2015. En Tunisie, ce taux a évolué de 57 à 14 pour mille. Le taux brut de scolarisation au niveau secondaire est passé de 73% à 100% entre 2000 et 2015 en Turquie. De 75% à 90% en Tunisie. L’accès à l’eau potable atteint 100% en 2015 en Turquie contre 93% en 2000. Nous en sommes qu’à 96% en 2015 contre 90% en 2000. On pourrait égrainer longuement l’évolution des indicateurs de développement humain et constater les écarts de performances entre les deux pays sur seulement 3 lustres.
Du côté économique, les différences d’évolution sont tout aussi importantes. La Turquie a triplé son PIB entre 2000 et 2015, alors que la Tunisie l’a seulement doublé. L’inflation a été ramenée de 50% à un peu plus de 7% durant la même période. Notre inflation est passée de 3,5% à 5%. En Turquie, on mettait un mois pour démarrer une entreprise en 2000. En 2015, il ne faut qu’une semaine. En Tunisie, cela n’a pas varié durant la période : 11 jours. La Turquie a réduit du tiers la pression fiscal durant cette période. En Tunisie, elle n’a pas varié.
On pourrait comparer sans fin les indicateurs socioéconomiques. Cependant, s’il ne fallait qu’en choisir les plus éloquents, ce serait le commerce extérieur, le textile-habillement et le transport aérien. La Turquie contribuait à hauteur de 0,4% dans le commerce mondial en 2000. Ce taux est passé à 1% en 2016 et les autorités projettent de l’élever à 1,6% à l’horizon 2020. En 2000, les exportations de textile-habillement atteignaient 10 milliards de dollars contre 2,2 milliards pour la Tunisie. En 2014, la Turquie a engrangé 29,5 milliards de dollars alors que la Tunisie en est restée au même niveau à peu près. En fin, en matière de transport aérien, Turkish Airlines recensait en 2005 une flotte composée d’une soixantaine d’appareils et 14 millions de passagers transportés alors que la Tunisair ne possédait qu’une trentaine d’appareils pour 4 millions de passagers transportés. Dix ans plus tard, la flotte de la compagnie aérienne turque est de 300 appareils et 54 millions de passagers transportés alors que la flotte de Tunisair n’a pas évolué d’un iota. Idem pour les passagers transportés.
Pourtant, dans l’un et l’autre pays, les défis socioéconomiques étaient sensiblement les mêmes. Et si l’un a émergé plus rapidement que l’autre, c’est que le premier a maintenu ses choix stratégiques – en 2001, Kamel Derwish avait bravé les violentes manifestations sociales et maintenu le plan d’ajustement – alors que l’autre a tergiversé sur les siens. En quinze ans, on constate la différence. Depuis 2013, la Turquie a soldé totalement ses comptes avec le FMI.
Dernière indication, il y a 15 ans, la Turquie était un pays d’émigration. Il est devenu aujourd’hui une terre d’immigration. Et qu’on ne se trompe pas, il ne s’agit pas seulement de réfugiés.
Que reproche-t-on dès lors à la Turquie….d’Erdogan ?
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