Qu’est-ce qui a cloché ?

30/06/2015

Les autorités ne peuvent répertorier tous les présumés suspects, tous les convertis de la mouvance radicale, ou ceux de nature violente. Ce qui est sans doute vrai.Mais un étudiant affilié à une cellule estudiantine takfiriste, lequel en plus est un habitué notoire d’une mosquée hors contrôle de l’Etat, méritait un peu plus de vigilance
Si l’attentat de Sousse a coïncidé avec d’autres dans le monde, celui-ci est autrement plus tragique. L’attaque a duré trop longtemps, de vingt à trente minutes selon les témoignages concordants. Le cœur du problème réside en ces points précis.
Oui le terrorisme est un fléau mondial, oui il a réussi à dérouter des systèmes sécuritaires et de renseignements célèbres et performants. La question n’est pas dans le fait qu’une cellule dormante s’est auto-activée et qu’un attentat terroriste a été encore une fois perpétré sur le sol tunisien. Mais le mode opératoire, la durée et le bilan appellent à de sérieuses remises en question des méthodes et services concernés. Un terroriste qui se balade une kalachinkov dans la main, prenant tout son temps pour tuer près d’une quarantaine de personnes et en blessant autant, au cœur de la plus importante ville estivale devant un hôtel, si ce n’est pas une première mondiale, qu’est-ce que c’est alors?
Qu’est-ce qui a cloché?  Pourquoi ces mêmes défaillances relevées deux fois de suite dans des endroits très exposés à quelques semaines d’intervalle, Bardo-Sousse? Pourquoi cette lenteur inexplicable de l’intervention des secours dans une zone sensible? Pour le savoir, il faudra faire une reconstitution de l’attentat et relever les failles. A quel moment précis les forces de l’ordre auraient-elles dû arriver, combien de temps calculé en secondes aurait-il fallu pour être sur les lieux? Quelles sont les unités habilitées à intervenir?  Autrement, comment peut-on expliquer au monde ces longues trente minutes au  cours desquelles des civils sans défense se faisaient tuer à bout portant? Comment peut-on justifier ce pas calme du terroriste, cette aisance face à ce carnage?
Les premières informations concernant le profil du terroriste attribuent ce déstabilisant self-control à un entraînement en Libye, l’information a été démentie. Il s’est avéré que Rezgui n’a jamais quitté le pays. Quoi qu’il en soit, ce serait difficile qu’un exercice de quelques semaines, aussi sophistiqué soit-il, puisse aboutir à une telle efficacité de maîtrise de soi. Pour ces brigades de la mort qui ont pris leurs quartiers en Syrie et en Irak, ou ici en Tunisie, le recours banalisé aux psychotropes est prouvé. Certains rescapés évoquaient un vague sourire de l’assaillant, « on dirait qu’il n’était même pas conscient de ce qu’il faisait ».

Qui doit être fiché ? 
Avant de se poser la question : pourquoi l’assaillant inconnu des services de la police ou plutôt connu, mais avec un casier judiciaire vierge, n’était-il pas fiché? Les autorités ne peuvent répertorier tous les présumés suspects, tous les convertis de la mouvance radicale, ou ceux de nature violente. Ce qui est sans doute vrai. Mais un étudiant affilié à une cellule estudiantine takfiriste, lequel en plus, est un habitué notoire d’une mosquée hors contrôle de l’Etat, méritait un peu plus de vigilance.
A titre de comparaison, soit dit en passant, les Américains vont bientôt ficher l’humanité entière en plus de leur population. Ils ne s’embarrassent nullement de mettre sur écoute même les plus grands de ce monde, y compris leurs alliés les plus proches, à tel point qu’Angela Merkel déclarait un jour, pincée : « Entre amis cela ne se fait pas ».
Les présidents français soumis aux mêmes élégantes manœuvres signées USA a poussé dernièrement François Hollande à taper du poing sur la table et faire un sonore rappel à l’ordre. Obama, se confondant en excuses, n’a pas manqué d’assurer que ça ne se fait pas et ça ne se fera pas. Sans préciser « que cela s’est déjà fait », relèvent les journaux français.

La bonne veille méthode de l’immersion 
Comment expliquer au monde qu’un hôtel affichant  un taux d’occupation qui avoisine les 75% présente un système sécuritaire aussi démuni pour ne pas dire nul? Tout le monde a compris après l’attentat du Bardo que les étrangers sont les premières cibles, ces hôtes de la Tunisie, autrement désignés par « les croisés ».
Le soir du massacre, des Tunisiens sur les réseaux sociaux interpellaient, hélas, le président déchu et regrettaient « la quiétude de son règne ». Sur ce point précis, et pour dire les choses comme elles sont, Ben Ali n’a pas fait appel à des compétences étrangères pour assurer la sécurité des Tunisiens quand l’Algérie saignait de tout son sang. Avec des moyens propres et des compétences nationales, un système sécuritaire à quelques points près infaillible a été mis en place dans la durée.  La question qui se pose, cruciale, entre un fonctionnement qui a prouvé son efficacité et d’autres pratiqués par quatre gouvernements successifs, la seule différence résiderait dans le respect ou non des procédures judiciaires et des valeurs de l’Etat de  droit. C’est seulement cette ligne de démarcation qui explique l’efficacité du premier pratiqué sous une dictature et l’échec consommé des quatre autres, mis en place par des gouvernements en transition démocratique?
Les spécialistes et responsables de la sécurité savent comment il faut procéder dans des cas extrêmes. En plus de tous les moyens utilisés, la bonne vieille méthode de l’infiltration a de tout temps prouvé son efficacité. Sauf que pour pratiquer l’immersion dans les milieux radicalisés et obtenir les informations à la source même avec le minimum de risques,  deux éléments, décisifs, sont requis ; des agents hyperentraînés et une institution sécuritaire patriote où la trahison n’est pas une pratique de mise. Est-ce bien le cas? Ceci n’est pas un cri du cœur mais un constat.

www.lapresse.tn

Top ↑