Youssef Chahed déjoue le piège diplomatique marocain
20/06/2017
De notre envoyé spécial à Rabat, Marouen Achouri
La visite du chef du gouvernement, Youssef Chahed, au Maroc les 18 et 19 juin 2017 avait pour principal objectif de relancer des relations bilatérales relativement mornes depuis quelque temps. A l’ordre du jour, la réunion de la 19ème session de la Haute commission mixte tuniso-marocaine, sachant que la dernière session avait eu lieu en 2015. Mais pas seulement…
Pas moins de neuf accords bilatéraux dans différents domaines ont été signés au cours de la visite de Youssef Chahed au Maroc. Au niveau économique, des accords ont été entérinés entre l’agence marocaine de développement de l’investissement et la FIPA d’un côté, et entre le centre marocain de promotion des exportations et le CEPEX de l’autre. La formation professionnelle, la jeunesse et la protection du consommateur ont également été concernés par des conventions entre les deux pays.
Les deux chefs de gouvernement, Youssef Chahed et Saâdeddine El Othmani, se sont félicités de la relance des relations bilatérales entre le Tunisie et le Maroc et ont tous deux souligné l’aspect stratégique de cette relation entre les deux pays. Les échanges entre les deux hommes étaient cordiaux, à tel point que Youssef Chahed s’est permis une boutade concernant la jeunesse des deux gouvernements. Saâdeddine El Othmani n’a pas été en reste. En donnant la parole à l’un de ses ministres, il a dit « le ministre tunisien » en souriant, pour montrer la fraternité qui lie les deux pays et les deux gouvernements. Par ailleurs, les deux chefs de gouvernement se sont engagés à assurer personnellement le suivi et l’application des accords signés. Avant de procéder à la session de la haute commission mixte, Youssef Chahed était allé au mausolée de Mohamed V, pour réciter la Fatiha devant les tombeaux de Hassan II et de Mohamed V, respectivement père et grand-père de l’actuel roi, Mohamed VI.
Toutefois, la visite du chef du gouvernement, Youssef Chahed, n’a pas été de tout repos. Il lui a fallu déjouer un piège qui aurait pu porter préjudice à la Tunisie. Ainsi, les Marocains ont tenté de pousser les représentants tunisiens à prendre une position pro-marocaine dans le conflit qui oppose le Maroc à l’Algérie. Une position qui aurait été entérinée dans un paragraphe contenu dans le procès verbal de la 19ème session de la haute commission mixte.
C’est là que Youssef Chahed a catégoriquement refusé de signer le document en l’état en donnant deux raisons. La première est que la Tunisie a toujours choisi la neutralité dans ce vieux conflit entre les deux frères arabes. La deuxième est que la délégation tunisienne est venue pour discuter des relations bilatérales entre les deux pays et des moyens de les relancer et de les renforcer. La délégation n’est donc pas là pour prendre position sur un sujet d’ordre diplomatique comme celui-là.
Si la Tunisie avait signé un tel document, cela aurait fortement irrité notre voisin algérien. Sachant que la Tunisie attend près de 2 millions de touristes algériens en cette saison estivale, se ranger derrière le Maroc dans ce sempiternel conflit aurait été pour le moins maladroit.
Par la suite, certainement par un coup du sort, le roi Mohamed VI n’a pas reçu le chef du gouvernement tunisien à sa résidence de Casablanca. Raison invoquée : une indisposition du Roi. Pourtant, Youssef Chahed a été reçu tel un chef d’Etat dans trois pays africains et en France. Etant en Tunisie dans un système de trois présidences, les us et coutumes diplomatiques voudraient que le Roi du Maroc reçoive son invité tunisien surtout si, comme le dit le chef du gouvernement marocain, « le roi accorde une importance particulière à la relation avec la Tunisie ». Mohamed VI a l’air de largement préférer Moncef Marzouki, ancien président de la République tunisienne, qu’il gâte en visites officielles et dont il assure l’hébergement et la protection même après que Marzouki a quitté la présidence.
En tout cas, Youssef Chahed ne semble pas être dans les petits papiers du Roi du Maroc, et si c’est à cause de la position de la Tunisie concernant le conflit du Sahara Occidental, tant mieux. Comme le rappelle Imed Hammami, ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, la Tunisie a toujours observé une parfaite neutralité dans ce conflit entre le Maroc et l’Algérie, et ce n’est pas aujourd’hui que cela va changer.
A travers cette prise de position, Youssef Chahed a montré une certaine force de caractère et un sens politique aigu. En effet, il a pris le risque d’offusquer les Marocains chez eux dans le but de préserver les intérêts nationaux tunisiens et la qualité des relations avec l’Algérie. Il était, en plus, secondé notamment par le vieux briscard de la diplomatie, Sabri Bachtobji, secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires étrangères, ainsi que Imed Hammami, surnommé, dans une boutade de journalistes, le « Saeb Orikat » tunisien, du nom du célèbre négociateur en chef palestinien.
Le voyage au Maroc du chef du gouvernement aura permis de donner le change au niveau bilatéral et de réchauffer des relations qui étaient relativement en berne. Il a permis également de réaffirmer une certaine stature à Youssef Chahed qui s’exerce aux subtilités de la diplomatie internationale. Maintenant, une échéance importante attend le chef du gouvernement tunisien qui est son voyage à Washington au début du mois prochain avant d’entamer l’épineux chantier de la Loi de finances 2018. Autant dire qu’un été studieux attend le chef du gouvernement et ses équipes qui devront plancher sur une multitude de dossiers tous aussi sensibles les uns que les autres.
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