Youssef Chahed, l’Etat, l’UGTT et Disneyland…

27/02/2017

A l’actualité cette semaine, un remaniement surprise, une déclaration indirecte de guerre du chef de l’exécutif à la centrale syndicale et une opposition qui ment et brasse du vent. Ce qu’il y a à relever, c’est que les sujets débattus cette semaine tournent exclusivement autour de problèmes politiques ordinaires d’un Etat. Qu’est-ce qu’il y a de plus normal, pour des hommes politiques, que de se chamailler autour de telle stratégie, de telle nomination et de telle vision ?

Il y a à peine quatre ans, on débattait terrorisme, égorgement de soldats, assassinat de leaders politiques, islamisation de l’Etat, califat, chariâa et de la proximité de terroristes notoires avec des hommes au pouvoir. Depuis l’arrivée de Mehdi Jomâa, puis des élections de 2014, on a parcouru beaucoup de chemin. Même si 68% des citoyens sont pessimistes, il est bon de voir que ce pays est en train de bouger et d’évoluer dans le bon sens, en dépit de ses multiples problèmes.

 

Vendredi en fin d’après-midi, Abid Briki donne une déclaration à Acharâa el Magharibi pour dire que sa démission est sur le bureau. Certains médias relaient en déformant les propos et annoncent carrément que le ministre de la Fonction publique et de la Gouvernance, a déjà présenté sa démission. A la Kasbah, on n’est au courant de rien. On apprend ça dans les médias comme tout le monde. Il a fallu moins de 24 heures pour que le chef du gouvernement réagisse en limogeant le maître-chanteur. « Un ministre, ça ferme sa gueule. Et si ça veut l’ouvrir, ça démissionne ». Célèbre phrase de Jean-Pierre Chevènement encore d’actualité. C’est comme ça que ça se passe et c’est comme ça que ça doit se passer, même dans une PME, que dire alors dans un Etat. On ne menace pas de démissionner, on ne menace pas le chef, on ne fait pas de chantage au chef ! Tu veux démissionner ? Alors du vent ! Une démarche qui fait peut-être marrer Abid Briki et Sofiène Ben Hamida, mais une démarche nécessaire et indispensable dans une organisation quelle qu’elle soit, PME ou gouvernement. Pourquoi ? Parce que quand on écrit sa démission, c’est que l’on est déjà dehors. Et dans une équipe, quelle qu’elle soit, on n’a pas besoin de gens qui sont à la fois dedans et dehors.

Le temps de la troïka avec ses Salem Labiadh qui démissionnent tout en restant au gouvernement en continuant de profiter de la Mercedes ministérielle et du salaire de ministre, on n’en veut plus !

Sur ce point, Youssef Chahed a agi comme un chef. Il a déjà un précédent avec le limogeage de l’ancien ministre des Affaires religieuses Abdeljelil Ben Salem, au lendemain de ses déclarations hasardeuses à l’encontre de l’Arabie Saoudite.

 

Est-ce pour autant une bonne chose que d’engager un bras de fer avec la Centrale syndicale dont Abid Briki est le représentant non déclaré dans le gouvernement ?

Youssef Chahed a cru pouvoir éviter la guerre en prenant la précaution d’appeler Noureddine Taboubi, SG de l’UGTT, avant de procéder au limogeage de son poulain. Sage précaution, mais insuffisante quand on connait le mode de fonctionnement de la centrale. A l’UGTT, on n’accepte pas de se faire humilier, quand bien même si l’on est soi-même insolent, irrespectueux et méprisant toujours en train d’humilier les autres. C’est quand même un comble que le ministre chargé de la bonne gouvernance soit, lui-même, défaillant et un modèle de la mauvaise gouvernance ! Peu importe, à l’UGTT on annonce ouvertement la guerre.

Youssef Chahed a raison sur le fond et on ne peut même pas lui reprocher son côté impulsif et le limogeage immédiat de son gauche de ministre, puisque ce dernier ne lui a pas laissé le temps avec son annonce de démission sous 72 heures. Il se doit maintenant de se préparer à un véritable bras de fer avec une organisation aux capacités de nuisance incommensurables et la mauvaise foi légendaire de beaucoup de ses dirigeants. Quelles seront les conséquences ? Des grèves à répétition ? Une crise politique majeure ? Une révision de l’accord de Carthage ?

 

Le joueur d’échecs du palais de Carthage, qui a certainement approuvé ce mouvement avant son déroulement, a son plan.  Il a été élu pour rétablir le prestige de l’Etat et le prestige de l’Etat est intact après l’impair de Briki. Le reste, c’est de la littérature et ce sera gérable. Bon à rappeler, en dépit de ce que disent beaucoup de critiques, l’UGTT n’est pas vraiment écartée du gouvernement puisqu’elle y a encore son autre représentant non déclaré, Mohamed Trabelsi, ministre des Affaires sociales. Son comportement demeure irréprochable, son attitude est bien celle d’un ministre et non d’un pion de l’UGTT et son rendement est apprécié par son chef. Et son chef s’appelle Youssef Chahed et non Noureddine Taboubi.

Dans sa sortie télévisée du dimanche 26 février, Youssef Chahed a paru confiant et optimiste. Il est déjà conforté dans sa position par le président de la République et son remaniement a été approuvé par les deux partis au pouvoir, Ennahdha et Nidaa. L’opinion publique, une partie du moins, est d’accord et ne voit pas d’un mauvais œil ce rappel à l’ordre à une centrale qui se prend pour Bruce tout puissant. Que le chef de l’exécutif soit optimiste et sûr de lui est important pour tout le pays et ses partenaires étrangers. C’est même une des choses les plus importantes, car son psyché donne le la.

 

Pendant que les hommes d’Etat jouent aux échecs, l’opposition fait son clown à la télé et essaie de trouver le moyen d’aller jouer à Disneyland. Il est vrai que nous sommes au premier jour des vacances scolaires.

Moncef Marzouki est allé faire son spectacle sur le plateau conjoint de Wataniya 1 et France 24.  Dans tous les pays du monde, quand un homme politique est attrapé en flagrant délit de mensonge, il se fait tout petit et tente de se faire oublier un moment. Moncef Marzouki a fait au moins cinq sorties télévisées et médiatiques au cours des trente derniers jours avec autant de polémiques dont notamment celui de son mensonge grossier à propos des Tunisiens qu’il dit impliqués dans les attentats du 11-Septembre 2001. Non seulement, il ne se fait pas petit, mais il continue encore à dénigrer les médias. A le suivre, la journaliste de la télé publique tunisienne devrait prendre exemple sur le journaliste de France 24, modèle de professionnalisme journalistique d’après lui. Bon à rappeler, France 24 est le canal officiel de diffusion du ministère français des Affaires étrangères. En clair, pour être un journaliste modèle d’après Marzouki, on se doit d’appartenir à un média de propagande moderne comme France 24 ou Al Jazeera.

Le hic est que le discours de Moncef Marzouki trouve écho. Non pas uniquement auprès des petites gens et des crédules en Tunisie, mais également auprès de dirigeants politiques français. Jugez-en à travers cette phrase prononcée hier, dimanche 26 février 2017 par Marine Le Pen, candidate du Front National (extrême droite) pour la présidentielle française de mai prochain : « Dans cette élection, les médias ont choisi leur camp : ils font campagne de façon hystérique pour leur poulain (…) Ils se parent de morale, prétendent en rester à l’analyse des faits et hurlent à la liberté de la presse dès qu’on les critique…. Et puis ils pleurnichent d’avoir perdu la confiance du peuple, qui se tourne – et c’est légitime – vers internet pour s’informer ». Le discours de Le Pen n’est-il pas identique (mot à mot presque) à celui de Marzouki et à celui, précédemment, de Donald Trump, président populiste des Etats-Unis ?

 

Du côté de l’opposition à Tunis, on cherche à tirer le maximum de profit de son statut. Ainsi le cas du député Ghazi Chaouachi, secrétaire général du parti Attayar, chantre de la lutte anti-corruption, de la lutte anti-népotisme, lutte pour la transparence, lutte pour l’intégrité. Champion de la parlote à vrai dire. Sa dernière sortie est liée à l’obtention de privilèges aux députés comme une remise sur les billets d’avion de Tunisair ou encore l’octroi de passeports diplomatiques aux petites familles des députés.

Pour défendre son secrétaire général, Attayar a publié un communiqué dans lequel il précise que Ghazi Chaouachi n’a fait que rassembler les propositions de députés en sa qualité de membre du Bureau et d’adjoint du président chargé des affaires des députés. « Faux, dément Sabrine Ghoubantini, autre membre du même Bureau. Ghazi Chaouachi n’a fait que relayer ses propositions et non celles des députés ». Les dirigeants du parti ont beau se défendre sur les médias et les réseaux sociaux pour dire que cette proposition n’émane pas d’eux. Rien à faire, la mèche était trop grosse. Leur secrétaire général n’est pas un simple postier, comme ils voudraient le faire croire, et ses instances n’ont pas été consultées, comme ils le disent eux-mêmes.

En clair, on a le chef d’un parti d’opposition qui n’a qu’un objectif : obtenir des privilèges de l’Etat pour aller emmener ses propres enfants à Disneyland. On a un autre chef d’un autre parti de l’opposition qui ne fait que multiplier les mensonges, jouer aux victimes et se pavaner d’un plateau télévisé à un autre.

On voudrait bien construire une démocratie moderne en Tunisie, mais quand on voit une telle opposition, on peut se dire que le chemin risque d’être un peu long.

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